Le portable des années 1900, l'e-mail avant la lettre, c'est la carte postale. D'un coût modique, elle est fiable, sûre. Qu'elle représente une rue, un petit métier, une scène pittoresque, un commerce ou un groupe, la vulgarisation de la photographie est à l'origine de cet engouement. Ces millions de vues nous renseignent sur l'habitat, les conditions de vie, l'habillement, le commerce... Elles nous montrent la France au tout début XX° sous ses moindres aspects.

lundi 23 avril 2012

Niort : le musée Bernard d'Agesci sort l'argenterie de la région


Les 300 objets exposés au musée Bernard d’Agesci à Niort jusqu’au 10 juin sont des rescapés. Au fil des siècles, l’argenterie n’a cessé d’être fondue et refondue.

George Clooney n'en faisait pas encore la promotion mais cette cafetière dite « égoïste », pour une dégustation unique, et ornée de pieds de biche est d'une facture rare.

L'exposition réunit pour la première fois toutes les pièces d'orfèvrerie, créées entre le XVII° siècle et la Révolution française, conservées dans la région. Certaines d'entre elles sont exceptionnelles assure le conservateur en chef Christian Gendron. 


Dans les vitrines, les yeux s'attardent sur les ciselures, les formes, les motifs. Les 300 objets exposés par le musée Bernard d'Agesci jusqu'au 10 juin laissent éclater le talent des maîtres orfèvres qui les ont créés entre le XVIIe siècle et la Révolution française, dans les généralités de Poitiers – qui regroupait la Vienne, les Deux-Sèvres et la Vendée – et de La Rochelle – qui s'étendait sur la Charente et la Charente-Maritime.

Ces fourchettes, cuillers, aiguières et autres chocolatières ont de la valeur à plus d'un titre : elles sont en métal précieux, elles révèlent le savoir-faire des artisans de la région et elles sont des rescapées des fontes successives, où ont disparu au fil des siècles bien des trésors pour redevenir simple matière. Car là où le regard moderne admire des chefs-d'œuvre, nos aïeux ont longtemps vu une sorte, certes esthétique, de compte bancaire.

 " Les objets étaient conservés toute la vie comme réserve bancaire "

« A l'époque, confirme Christian Gendron, l'or ou l'argent représentait une fortune métallique. Les objets étaient conservés toute la vie comme réserve bancaire. En cas de veuvage ou de dette, on faisait fondre les objets les plus lourds. »
Une habitude que l'on retrouve en temps de crise, fait remarquer le conservateur en chef du musée de la communauté d'agglomération de Niort, qui note que fleurissent aujourd'hui « des publicités innombrables pour récupérer l'or et l'argent ». Mais une habitude qui prive les musées de tout un pan du patrimoine historique : « Dans nos provinces, nous avons une idée très pâlotte du talent de nos orfèvres », regrette Christian Gendron, persuadé que les plus belles pièces ont été sacrifiées sur l'autel financier.

Cependant, le musée Bernard-d'Agesci a réussi à réunir une collection d'une centaine d'objets, qu'il a enrichie le temps de cette nouvelle exposition temporaire consacrée aux « Orfèvres de l'Ancien régime en Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois » de plus de 200 autres prêtés par les musées de la région et des collectionneurs privés. Une fierté pour le conservateur qui trouve là une manière de tirer sa révérence – il part à la retraite le 7 mai – « brillamment » !

Article paru dans la NR le 22 avril 2012.

Exposition « Orfèvrerie de l'Ancien régime en Poitou, Aunis, Saintonge, Angoumois » jusqu'au 10 juin, au musée Bernard d'Agesci, 26, avenue de Limoges à Niort. Ouvert du mardi au dimanche, de 10 h à 17 h et jusqu'à 18 h à partir du 1er mai. Tarifs : 3,50 €, 2,50 € pour les groupes à partir de six personnes, gratuit pour les moins de 25 ans. Renseignements au 05.49.78.72.00


dimanche 22 avril 2012

Se souvenir du Marais Poitevin


800 cartes postales, 500 pages, 3 kilos. Le Deux-Sévrien Guy Brangier nous offre un livre-fleuve sur le Marais Poitevin entre la fin du XIX° siècle et 1960.




Les robes aux lourds tissus se portaient longues, les messieurs soignaient leur moustache. Les coiffes de ces dames répondaient aux feutres usés des ouvriers agricoles. Les chemins s'empoussiéraient derrière les premières autos, le crottin parsemé sur les routes trahissait le passage encore frais des charrettes. Les lavandières s'arc-boutaient dans les bras de la rivière, le maréchal-ferrant avait du boulot et les gamins en blouse se laissaient promener dans les carrioles à chien… Ainsi allait la vie il y a un siècle, dans le Marais poitevin…

 " Toutes les communes du Marais figurent dans ce livre "

C'est à ce voyage dans le passé que nous invite le Deux-Sévrien Guy Brangier, avec « Se souvenir du Marais poitevin », un imposant ouvrage de 500 pages, illustré de près de 800 cartes postales des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Charente-Maritime. « C'est le premier livre qui couvre l'ensemble du Marais en cartes postales », revendique l'auteur, professeur d'histoire au collège de Prahecq et correspondant de la NR sur le canton.

Pour couvrir la centaine de communes qui s'étirent depuis le bassin-versant du Marais jusqu'à la mer, il a notamment puisé dans le très riche fonds du Parc interrégional du Marais, un travail d'exploration mené avec la complicité de Guy Barbaud et Denis Allard, du Parc naturel.


Au-delà de la carte

Les communes les plus photogéniques lui ont offert des trop-pleins d'images. Pour d'autres, comme la discrète bourgade charentaise de Saint Cyr du Doret, Guy Brangier a dû se faire explorateur, enchaînant les brocantes et vide-greniers pour extirper des bacs des cartophiles la matière de son ouvrage.

Surtout, il n'a pas confiné ce souvenir du Marais poitevin dans les tons sépia de la nostalgie facile. « J'ai voulu enrichir cet ouvrage de faits divers, de chroniques judiciaires, d'articles d'opinion ou d'extraits des bulletins paroissiaux, explique-t-il. Car à travers ces documents, juxtaposés aux images et aux petites notices que j'ai écrites pour souligner une activité, un personnage, une anecdote, on appréhende mieux le mode de vie et de pensée de l'époque, ça rend le récit plus humain ».


Un récit plus humain

On lit ainsi qu'un passant a passé quarante-huit heures derrière les barreaux pour mendicité, qu'un miséreux volait des légumes pour s'offrir un peu de soupe, que le boulanger a été condamné pour avoir trafiqué sa farine… « C'est étonnant : la vie maraîchine d'il y a cent ans est le présent de millions de gens aujourd'hui en Afrique. L'eau en moins. Les scènes de vie représentées sur ces cartes postales, je les ai vues souvent lors de mes voyages en Éthiopie ». Nostalgique, Guy Brangier ? « Absolument pas ! Je considère plutôt ce travail comme une démarche sociologique ».

Une aventure humaine à fleur d'eau sur laquelle maraîchins, touristes et amoureux du Marais se laisseront porter pour remonter le temps.


Article paru dans la NR le 22 avril 2012

vendredi 20 avril 2012

La candidature présidentielle de l'inventeur poitevin


Garagiste puis restaurateur poitevin au début du XX°siècle, l’inventeur Ulysse de la Caillerie a aussi été… candidat à la présidence de la République en 1953.


Aujourd'hui à Poitiers, son nom ne dit plus rien à personne. Et si l'odyssée de cet original n'a finalement pas dépassé les frontières de sa Gâtine natale, son étonnant parcours mérite pourtant un petit détour, et particulièrement à la veille des élections. Car Ulysse de la Caillerie, alors domicilié à Parthenay, est officiellement candidat aux présidentielles de 1953 remportées par René Coty.

Président de l'association « Les amis d'Ulysse » à Secondigny (Deux-Sèvres), Bernard Pipet est intarissable sur le personnage : « Pour ce suffrage indirect, il n'y avait besoin que de quelques signatures de grands électeurs pour se présenter. Au final, il a eu quelques voix qui se comptaient sur les doigts d'une main, sans doute les mêmes qui avaient signé pour lui ! ».

Quand Ulysse de la Caillerie décide de faire de la politique dans les années 40, il fonde alors le parti dit « des Quatre Piliers ». « Après guerre, il obtient 20 % des suffrages aux municipales de Parthenay avec sa théorie qui s'appuie sur l'agriculture, l'industrie, le commerce et l'artisanat, commente Bernard Pipet, c'était plutôt original mais pas tellement applicable, une sorte de poujadisme avant l'heure ».

Son véhicule amphibie présenté sur le Clain
 
Bernard Pipet ne juge pas les idées de celui qu'il considère avant tout comme un excentrique, mais glisse au passage : « aujourd'hui, parmi les dix candidats on entend bien parler d'aller sur Mars… ».

Arrivé des Deux-Sèvres à Poitiers à la fin du XIX° siècle à l'âge de 7 ou 8 ans avec sa mère, un étonnant parcours va faire de lui un chauffeur de maître dès 1903 après une formation de mécanicien. De la Caillerie monte bientôt un garage florissant rue Carnot face au mess des Officiers (actuel parking de l'hôtel de ville) où il aura jusqu'à 30 employés. « Il est très innovant, crée des berlines et fait fortune. Après la première Guerre, il crée un hôtel-restaurant de premier rang avec sa future épouse Juliette rue de la Cité de la Traverse », raconte Bernard Pipet. Le bâtiment s'appelle toujours hôtel de la Caillerie et était encore il y a deux ans occupé par le Rectorat.

Mais ce qui restera comme la caractéristique principale du personnage pour Bernard Pipet, c'est l'inventeur : « En 1928, il part habiter à Secondigny et travaille alors sur un projet de véhicule amphibie qu'il présentera dès 1932 ». La foule des grands jours sera au rendez-vous de sa démonstration poitevine sur le Clain le 12 février 1933. Un deuxième projet est présenté officiellement à l'armée française (et à un certain colonel de Gaulle) en 1936 au centre militaire des engins blindés de Vincennes. Sans plus de succès que sa future carrière politique.

En s'attaquant en 1999 (au cœur d'une petite équipe de six passionnés) à la construction d'une réplique de la voiture amphibie de 1932, Bernard Pipet a eu à cœur de faire revivre la créativité hors normes de ce poitevin de Gâtine. Exposé encore dernièrement à Paris au salon Rétromobile, l'engin sait régulièrement recueillir tous les suffrages.


Article paru dans la NR le 20 avril 2012